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19 mai 2020

Mes lundis au soleil #8

(Bon, d'accord, on est mardi... Mais est-ce si grave après tout? Il suffit de faire comme si j'avais eu le temps, hier, d'écrire ces lignes. Seul compte le résultat...)

Une fois de plus, j'ai dû bouleverser tous mes plans pour m'adapter "à la demande extérieure". Je pensais reprendre mon activité professionnelle en septembre et consacrer les semaines qui viennent à l'écriture, mais ceux qui avaient fait appel à moi en début d'année se sont manifestés à la sortie du confinement et je n'ai pas eu le coeur de les faire patienter. Par voie de conséquence, j'ai repris le taureau par les cornes, différant ( une fois de plus...) mon projet d'écriture de quelques semaines (verra-t-il jamais le jour ou serait-il de ces projets qu'on évoque toute sa vie sans jamais les réaliser???...)  et je me suis réinvestie dans des tâches sinon plus concrètes, du moins plus immédiates, mais enfin, tout aussi exigeantes... Parallèlement, j'ai lancé l'offensive et repris les démarches avec le rector@t et j'espère sincèrement être enfin libérée de mes obligations anciennes dans les mois à venir. C'est la condition sine qua non pour toute évolution. Et c'est aussi, de façon plus symbolique, une nécessité pour moi si je veux aller de l'avant, et ne pas toujours me sentir le fil à la patte, retenue comme l'est le chardonneret de Carel Fabritius. Malheureusement, sur ce sujet, je ne suis pas décisionnaire (ce qui est un pléonasme, en vérité, puisque je suis même totalement impuissante et condamnée à subir les non-décisions de personnes qui se moquent bien de ce que je suis et de ce que je souhaite, et qui jugent plus simple, et surtout moins coûteux, de ne rien faire, de ne surtout pas bouger d'un pouce...). J'éprouve donc  souvent ce sentiment de lassitude mêlée de frustration que connaissent ceux qui, par contrainte, ne peuvent évoluer et sont réduits à la stagnation.

Quand on cesse d'avancer, on recule, disait Suzanne, fréquemment. C'était son leitmotiv. Suzanne était une amie de ma mère, c'était une femme docte que j'admirais beaucoup et dont l'image, savant mélange d'érudition bourgeoise et de bon sens campagnard, a pour toujours marqué l'enfant que j'étais. Elle fumait comme un pompier, du soir au matin, du matin au soir et même au volant de sa vieille voiture, et elle râlait souvent lorsqu'une cendre de sa cigarette venait abîmer pour toujours son joli chemisier ou sa longue veste de laine. Voilà longtemps maintenant qu'elle nous a quittés, victime d'un cancer plus fort qu'elle, et n'ayant pas conservé de photographie d'elle, j'ignore si elle était vraiment belle - mais pour moi, elle l'était. Remariée, active, aussi à l'aise en ville qu'à genou dans son jardin devant ses massifs de fleurs, elle incarnait ce qui allait devenir mon idéal féminin : la femme que je rêvais d'être un jour. Nous la retrouvions souvent dans sa maison de vacances, en Haute-Loire, entourée de ses amis hippies qui  faisaient eux-mêmes leur pain et mangeaient avant l'heure des soupes de légumes arrangées aux flocons d'avoine mais le reste du temps, elle occupait une maison de la banlieue de Lille que j'adorais et qui, à mes yeux d'enfant, possédait tous les atouts qu'une maison de rêve doit posséder : un somptueux escalier de chêne, une cheminée monumentale, en pierre de pays, dont émanaient des effluves fumés, des chambres avec sous-pentes dont le parquet grinçait et surtout, surtout, une cuisine immense, au centre de laquelle trônait une table de ferme, solide et inusable. Je me souviens de cette cuisine comme si je l'avais quittée hier, et de la large fenêtre au-dessus de l'évier qui surplombait un jardin aussi dense qu'exubérant. Dans cette cuisine, nous avons passé de longues heures, ma mère, son amie Suzanne et moi-même, encore fillette, qui écoutait la bouche ouverte, les regardant toutes les deux alors si bien occupées à boire du thé, fumer des cigarettes ou à plonger les mains dans la farine. C'est dans cette cuisine que, pour la première fois sans doute, j'ai entendu Suzanne déclamer : "Ah, quand on cesse d'avancer, on recule"... C'est d'ailleurs encore ce qu'elle me répétait, bien des années plus tard, dans la minuscule cuisine du pavillon de ma grand-mère, qui me souriait, un peu en retrait, alors que Suzanne tentait d'arranger les dentelles de ma robe de mariée et que la voiture attendait, dehors, pour nous conduire à la mairie. Depuis, c'est devenu mon leitmotiv, à moi aussi. j'ai toujours peur de cesser d'avancer. Peur de ce que cela signifierait - la menace du vide, du rien, de la stagnation. De l'ennui, peut-être aussi. Mais je crois surtout qu'en m'activant, en reproduisant à ma façon leurs façons d'être, je garde un peu vivante en moi cette part des femmes que j'ai aimées et qui ont disparu - et puis vivante aussi, une époque lointaine, celle des années d'enfance, des années heureuses.  

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