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1 avril 2020

L'échappée belle

Est-ce un bénéfice de l'âge, une marque de sagesse, ou n'est-ce pas plutôt simplement le constat d'avoir finalement cédé, d'avoir lâché la bride, laissé le pur-sang s'échapper et s'enfuir au grand galop, et de l'avoir regardé disparaître bien au-delà de l'horizon sauvage pour ne garder de lui que le souvenir de ce qu'il était, un cheval fougueux, et rester seule debout, dans le silence bruissant des grandes plaines? Comment savoir? En d'autres termes : suis-je en train de me glisser subrepticement dans la peau d'une autre, la peau d'une vieille femme, et de laisser celle que je pensais être, l’éternellement jeune, derrière moi? Est-ce une mue qui s’opère ? Au-delà des transformations physiques qu'il faudra bien noter (J’aimerais être de ces femmes, âgées ou pas, que l'on voit uniquement concentrées sur l'action et qui ont résolument abandonné le miroir - J'envie leur force et leur parti pris : l'image ne les atteint plus, l’image ne peut plus les atteindre. Reste alors pour elles l'essentiel, le sensible), au-delà donc de la peau qui s'assèche et qui se relâche, des signes qui apparaissent, ceux-là mêmes que l'on avait reconnus et dont on s'amusait, enfant, sur le dos de la main, sur la joue ou dans les plis du cou d'une aïeule adorée, pour constater aujourd'hui qu'ils s’inscrivent là, sur le dos de sa propre main, sur sa joue, dans le pli de son cou, au-delà des stigmates de l'âge qu'il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer, ce qui a changé surtout, c'est le sentiment "de n'avoir plus besoin de tout ça". C’est comme un abandon, une acceptation. Un peu importe, après tout. Suffit désormais le plaisir d'être là. Le pur-sang s'est enfui, et on ne le regrette pas. On n'est plus obligée de toujours avancer à bride-abattue et on découvre à quel point c’est agréable de ne pas attendre, de ne pas espérer, mais simplement de profiter – Plaisir d'observer la branche d'un arbre au jardin quand elle se couvre de bourgeons et noter ses transformations. Plaisir de sentir le souffle de l'air, frais le matin, tiède en fin d'après-midi, et de lever les yeux pour noter le chemin des nuages et se repaître des bleus du ciel. Plaisir d'être en cuisine, un panier de légumes colorés étalés sur la table, une tasse de thé fumant à portée de la main. Plaisir d'entendre à la radio une belle émission, de lire, des heures durant, un livre dont on savoure les phrases comme autant de bonbons. Plaisir de partager, les repas, les idées, les jeux, les plaisanteries. Plaisir d'être là, à soi, à ce que l'on est. Sans attendre autre chose. Et puis, au moment de se dire : "Quelle paix, enfin..." entendre au fond de soi la petite voix qui insiste, celle qui, comme avant, veut du mouvement, et que ça change, et que ça bouge, et qui martèle encore : "Tiens, et si tu allais là? Et si tu essayais ça? Et si... et si... et si...? " Et puis sourire. J'ai encore des fourmis dans les jambes. Et si je siffle fort, mon cheval va m'entendre et rentrera, tout seul, à l'écurie. 

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